Communiqué de presse

A propos de l'étude Le système des arts de la scène de Suisse romande
Nous avons reçu très récemment la longue étude de 98 pages, intitulée Le système des arts de la scène de Suisse romande, menée sur mandat de la CDAC (Conférence des chef·fes de service et délégué·e·s aux affaires culturelles de Suisse romande) et de la Corodis (Commission romande de diffusion des spectacles). Si nous ne pouvons que nous réjouir de l'avancée considérable que représente cette étude par l'ampleur de ses analyses et la pertinence de ses constats, la lecture qui en a déjà été faite dans la presse et les réactions que cela a suscité sur les réseaux sociaux nous inquiète pour la survie du formidable vivier de création représenté par les compagnies indépendantes.
Comme l'étude le confirme elle-même, une grande partie de ce qu'elle énonce repose sur un questionnaire dont le panel est biaisé. Une partie des chiffres, et aussi des témoignages, sont à considérer avec prudence. Parmi les personnes qui ont répondu à l'étude, on trouve un nombre élevé de personnes en CDI (permanent·e·s travaillant dans des lieux culturels), souvent des cadres qui, de facto, ne représentent pas l'ensemble des professionnel·le·s de la branche. Les plus jeunes se sont peu mobilisé·e·s, faute d'y trouver un réel intérêt, ou simplement d'en avoir été informé·e·s. Une partie conséquente de la profession - le plus souvent travaillant dans des compagnies indépendantes - ne s'est donc pas exprimée. Il nous manque encore, en Suisse romande, une véritable étude statistique approfondie permettant d'analyser avec précision la structure de l'emploi dans les arts de la scène. Si on peut discuter de la notion de surchauffe (qui a été heureusement préférée à celle de surproduction) mentionnée à plusieurs reprises, pourquoi la justifier en s'appuyant, par exemple, sur des propos rapportés de directions de théâtre disant recevoir 30 à 40 nouveaux projets par jour (p.16), ce qui ferait a minima plus de 10 000 projets envoyés par les compagnies indépendantes par an ? Comment cautionner de tels chiffres sachant, par ailleurs, que l'étude évoque l'analyse de 538 productions suisses romandes entre 2018 et 2021 ?
À plusieurs reprises dans l'étude, il est mentionné que les employeureuses ne respecteraient pas toujours leurs obligations légales vis-à-vis de leurs employé·e·s. En l'absence de détails, cela jette le discrédit sur l'ensemble de la profession. Cela va à l'encontre du discours que nous ne cessons de mettre en avant au sein des faîtières, sur notre qualité d'employeureuses et les responsabilités qui en découlent. C'est le sens de notre action et cela nourrit nos échanges avec les différentes autorités pour améliorer les conditions de travail dans notre secteur d'activité.
Par ailleurs, contrairement à ce que prétend l'étude menée par la Corodis et la CDAC (p.68), il existe un statut intermittent en Suisse depuis 2003. Les articles 12a et 8 de l'OACI via la LACI précisent le type de travailleureuses salarié·e·s de la culture qui ont accès à cet aménagement spécifique au sein de l'Assurance chômage. Ce statut, selon l'expertise recueillie auprès d'Action intermittence - spécialiste de ces questions - n'a rien à envier au statut français, bien au contraire. Il ne s'agit pas de réinventer la roue, mais de se baser sur l'existant pour améliorer la prévoyance professionnelle des artistes et notamment la retraite (AVS-LPP). Afin de ne pas créer encore plus de confusion, il est bien nécessaire de s'appuyer sur un lexique commun - comme le prône l'étude - en consultant les organismes référents et en évitant toutes sortes d'amalgames avec les statuts d'indépendant.e.s et de salarié.e.s à consolider.
C'est vraiment dans les solutions proposées pour lutter contre la précarité dans les arts de la scène que nos inquiétudes sont les plus grandes quant à l'utilisation qui sera faite de cette étude. Pour reprendre des propos d'un responsable de compagnie sur les réseaux sociaux, il est frappant que l'étude de la Corodis, concluant à une « surchauffe » du nombre de spectacles en Suisse romande et à une précarité dans le milieu des arts de la scène en raison du nombre croissant des « vocations », préconise une diminution de la production et non pas une augmentation des moyens alloués. En somme, on lit un discours qu'on entend trop souvent ces derniers temps : pour diminuer la précarité des artistes, diminuons drastiquement leur nombre. Mais comment ? Avec quels critères ? Et là, semble émerger en creux un discours privilégiant l'institution au détriment des compagnies indépendantes. Pourtant, aujourd'hui les institutions (les structures qui sont en mesure de produire en totalité un spectacle, pour simplifier) se nourrissent en grande partie du travail des compagnies indépendantes. Il suffit de consulter les différentes programmations de la saison prochaine pour s'en rendre compte. Dire, suite à la publication de l'étude, comme une direction de théâtre l'a fait dans une émission télévisée, que les compagnies indépendantes font de la concurrence déloyale aux institutions est mensonger et ne reflète en rien la réalité. Les compagnies indépendantes sont le terreau qui permet aux institutions de renouveler leurs esthétiques, de découvrir de nouveaux talents et plus largement d'entretenir une diversité bénéfique à toustes. Et si nous sommes conscient·e·s qu'il y a de nombreuses éléments à améliorer dans le fonctionnement des arts de la scène en Suisse romande, et que nous sommes très favorables à certaines solutions proposées dans l'étude pour lutter contre la précarité (soutiens inscrits dans la durée, prise en compte des temps de recherche, mise en place de dispositifs pour la reprise,...), nous restons inquièt·e·s des dérives possibles d'un discours qui tendrait à définir plus ou moins arbitrairement qui aurait le droit de travailler et qui ne l'aurait pas.
Signataires
TIGRE, faîtière genevoise des producteur·ice·x·s de théâtre indépendant et professionnel, représente plus d'une centaine de structures indépendantes, qu'on peut qualifier de PME et qu'on appelle souvent, pour simplifier, des compagnies. Toutes exercent des responsabilité d'employeureuses. Certaines de ces compagnies sont de renommée internationale, quand d'autres ont moins de cinq ans d'existence.
APCS, l'Association Professionnelle du Conte en Suisse, regroupe une vingtaine de compagnies ou d'indépendant.e.s et milite pour la reconnaissance professionnelle des arts du récit en tant qu'Art de la scène.